Lisbet attacha ses cheveux en une queue de cheval sommaire, une barrette coincée dans la bouche. Elle balança légèrement les pieds pour ne pas perdre l’équilibre, puisqu’elle était assise nonchalamment sur une poutre de gymnastique. Il était minuit et demi, elle se tenait dans le gymnase dans son lycée et avait branché son iPod sur les enceintes de celui-ci. Illuminée en pleine nuit, la salle retentissait au rythme d’un bon groupe de glam metal. Elle tapait le rythme avec une Doc Marten plus jaune qu’un pissenlit et à peine lacée qu’elle ne tarderait pas à perdre. Elle frissonna légèrement ; elle ne portait en effet qu’un leggins noir sous une jupe en tartan jaune. De plus, il faisait encore chaud quand elle était partie en cette soirée de septembre, aussi elle avait laissé sa veste en cuir chez elle, pensant que son tee-shirt de Crashdïet, toujours aussi jaune, avec de nouveau du noir sur l’inscription « Crash fuckin Dïet », suffirait. Mine de rien, fringuée comme ça, elle ressemblait à une petite guêpe. Elle posa ses mains à plat sur la poutre de gymnastique et, s’appuyant dessus avec l’habitude et la légèreté que lui avaient conféré de longues années de pratique de la gymnastique et de la danse, elle se mit à califourchon dessus, s’offrant de la sorte une vue sur l’ensemble du gymnase. Elle avait pris l’habitude d’y trainer de temps en temps, et des fois, le soir, lorsqu’elle ne parvenait pas à dormir ou qu’elle se disputait avec ses parents et qu’elle ne trouvait rien de mieux que de sortir pour s’occuper l’esprit, elle s’y rendait pour profiter de la sono installée aux frais du complexe scolaire. Elle ne doutait pas un instant que si elle se faisait prendre dans son propre établissement, les retombées seraient plutôt importantes, mais jusqu’ici elle ne s’était pas jamais retrouvée nez à nez avec un des mythiques gardiens de l’endroit, et elle jugeait son squat sans danger. Les pires rencontres qu’elle ai pu faire avaient été celles avec quelques gars éméchés, mais la plupart du temps il lui suffisait de faire demi-tour avant qu’ils ne l’aient aperçue ou bien de s’excuser de son intrusion et de ressortir sans qu’ils ne prennent note de ses vêtements la plupart du temps assez courts pour affoler certains hommes. Ce soir là, après une fête écourtée par une violente dispute avec l’organisateur, elle s’était faite jeter dehors, et était donc repartie, ses bouteilles de bière dans le sac, râlant que ce n’était qu’un pauvre connard qui ne méritait pas sa présence. A vrai dire, un petit peu éméchée, elle avait légèrement tenté de l’allumer, et le garçon, un peu rigide sur ce plan là après une histoire d’amour qui s’était mal finie, l’avait repoussée trop violemment, ce qui avait viré au scandale.

Lisbet lâcha un petit soupir en y repensant, puis plongea la main dans sa besace noire, histoire de compléter son uniforme d’insecte, et attrapa une bouteille de Guiness qu’elle décapsula d’un geste habitué en se servant d’un coin de la table en fer qu’elle avait trainée devant sa poutre un peu plus tôt. Levant sa bière, elle lâcha un « à votre santé ! » solitaire, puis porta le goulot à ses lèvres. Bon sang ce qu’elle s’emmerdait. Elle aurait bien aimé qu’il y ait un peu de monde pour lui tenir compagnie. Sauf peut être l’autre connard de norvégien là, Nathaniel quelque chose, qui se foutait d’elle parce que Detlev avait eut la connerie de lui raconter qu’elle « digérait pas le lait ». Mais comment elle avait pu sortir ça ? D’ailleurs elle ne voulait pas le voir non plus, Det, il serait capable de la vanner encore là-dessus. Pour le reste elle s’en foutait un peu. Son iPod embraya tranquillement sur une chanson érotique qu’elle avait l’habitude d’écouter, à savoir la fameuse Sex Appeal de Sexy Sushi. Elle aimait pas mal cette chanson, à croire que son côté lesbienne se réveillait lorsqu’il entendait ça. Tiens, bonne idée ça, être lesbienne, comme ça, plus de problème avec des « je digère pas le lait ! ». Enfin bref. Elle posa sa bière sur la table devant elle et se tourna à nouveau, se rasseyant comme à l’initial sur sa poutre de gymnastique, avant de récupérer sa bouteille pour en boire une seconde gorgée. Est-ce que quelqu’un aurait la géniale idée de venir faire un tour dans ce fichu gymnase duquel s’élevait de la musique depuis bientôt une heure ? Elle était même prête à partager ses Guiness vous savez ! Balançant de nouveau les pieds dans le vide, elle lâcha un soupir résigné après avoir jeté un regard vers la porte toujours désespérément close. A croire que sa génération n’était pas aussi sauvage qu’elle voulait bien le faire croire. Quel dommage franchement. C’aurait été tellement plus drôle, des révoltes dans la rue, des cris perçant les oreilles, des combats pour une cause, des poings levés ! Mais non, ils étaient tous bien contents, elle aussi cela dit, personne ne faisait d’assez grosses merdes pour qu’un mouvement de révolte ne se crée. Ses pensées vagabondèrent légèrement vers les actualités municipales, et s’arrêtèrent sur le projet de Wenger. Ca pouvait être marrant ça. Au moins, ça l’occuperait un peu, elle ferait bien de s’y inscrire, et puis peut-être qu’elle apprendrait réellement quelque chose. De plus, elle avait eut Wenger en cours quelques années plutôt, et elle avait gardé de lui un excellent souvenir, en partie parce qu’il était arrivé une fois avec un tee-shirt à l’effigie des Ramones. Elle sourit en repensant à ce prof, et se décida une bonne fois pour toute à aller s’inscrire la prochaine fois qu’elle le verrait, s’il restait encore de la place.

Soudain, le bruit de la porte se fit enfin entendre, et elle tourna joyeusement la tête vers le nouvel arrivant. Enfin du monde avec qui elle pourrait discuter, histoire de s’occuper à cette heure tardive !